les incontournables (Filipacchi)

Blues de l'homme blanc pour certains, genre profondément réactionnaire, assimilable aux exactions du Ku Klux Klan, pour d'autres, de tout temps la country music a été l'objet d'une polémique acharnée. C'est faire à la fois grand cas de ce qui n'était au départ qu'une vague distraction de culs-terreux (en l'occurrence des émigrants venus du Vieux Continent) et ignorer délibérément que celle-ci a toujours été partie prenante d'une culture sudiste basée, musicalement du moins, sur le principe de l'intégration. Si, contrairement au blues s'inspirant quant à lui de divers idiomes africains, la country music puise ses origines dans les différents folklores européens (irlandais, suisse, français, allemand...), comme lui, elle constitue une sorte de témoignage souvent naïf, voire cru, des menus tracas de la vie quotidienne, dressant, au jour le jour, une chronique sans concession de l'Amérique dite "profonde": celle des laissés-pour-compte et des pauvres gens. Ce qui explique d'ailleurs en partie l'immense engouement populaire qu'elle a toujours suscité. Sans négliger l'identification systématique du public à ses héros, connus pour leur exceptionnelle disponibilité. Car leurs fans pardonnent tout aux chanteurs country, mais il est une chose intolérable : qu'ils refusent de signer un autographe. Que le phénomène s'ébruite ou se reproduise, et le futur de leur carrière est menacé. De Chet Atkins, "Mr. Guitar", responsable de l'essor de Nashville à Kris Kristofferson, rock et movie star, de Woodie Guthrie, modèle militant de Bob Dylan à Gène Autry, figure mythique du cow-boy chantant, de Johnny Cash, sulfureux "homme en noir" à la simplicité biblique d'un Hank Williams, c'est l'Amérique dans tous ses états d'âme et de cœur. Sans oublier les pétillantes et pulpeuses Dolly Parton ou Tanya Tucker, les angéliques Everly Brothers ou le blue yodel frissonnant d'un Jimmie Rodgers, tandis qu'un Jerry Lee Lewis, un Elvis Presley, un Ray Charles contribuent à répandre mondialement la country music.

Musique sociale devenue phénomène de société, se distinguant de la concurrence par son authenticité et sa légitimité, elle conservera toujours un noyau respectable de fidèles, bou-seux des villes et citadins des prairies, débarrassés enfin de tout sentiment de culpabilité. Car, quoi qu'il arrive, comme ses cousins imprévisibles : le blues, le jazz ou le rock, un siècle à peine après sa naissance au fin fond des
Appalaches, aux forceps du banjo et du crincrin, la country music est devenue "incontournable" désormais.